Morceau de peur [THÉÂTRE]

Théâtre Aux Écuries
7, 10, 14, 17 et 19 avril 2010
En collaboration avec Magnifique Théâtre et le M.T.G.A.T. Lausanne.

Je dois dire que je ne suis pas une spécialiste du théâtre et que je n'y avais pas été depuis des années. Pas de raison précise, moi qui pourtant m'y intéressais grandement auparavant. La vie est ainsi faite.

Le hasard étant aussi une chose extraordinaire, j'ai reçu par courriel une charmante invitation à aller assister à la pièce Morceau de peur présentée au Théâtre Aux Écuries. Enchantée, je l'étais plus encore lorsque j'ai lu qu'il s'agissait d'une thématique qui m'est chère: le corps malade. En effet, étant touché de près par la santé (ou l'absence de...), projetant de reprendre la maîtrise sur la thématique de l'art et la médecine, ça ne pouvait mieux tomber dans mes réflexions et mes recherches.

Ce qu'on y raconte: un comédien (Michel Lavoie), à l'approche de ses 30 ans, apprend qu'il a un cancer. Par le truchement d'une audition pour jouer Louis Cyr, l'homme le plus fort du Québec, il nous raconte l'entrée vertigineuse dans le monde de la maladie. Aidé d'échantillonnages sonores qui l'interpelle dans différentes salles d'examens - "Michel Lavoie, room 12, Michel Lavoie, local 12"- , le comédien nous invite aux différentes étapes de l'invasion médicale, la lente procession du malade à travers les divers corridors, salles d'attente, ribambelles de médecins.

À l'aide d'un décor minimaliste où les objets les plus simples (table, chaises, lumières) sont utilisés pour créer chaque environnement (j'adore cette simplicité des moyens, exigeant du spectateur d'activer son imagination pour y voir le décor suggéré), Lavoie - accompagné de son collaborateur et comédien Julien Schmutz qui interprète les divers médecins, infirmières, préposés à l'accueil et, surtout, ami de Lavoie - nous invite à visiter, non pas a sa souffrance, mais plutôt son impuissance, ses constatations sur cet état de malade qui le met en marge d'une société où la peur de celle-ci nous fait suffoquer, effrayés que nous sommes des diverses nouvelles (souvent mauvaises et alarmantes) offertes au télé-journal, à la radio, dans les journaux.

Basé sur ses notes personnelles au cours de sa maladie, Lavoie évolue dans la pièce en un petit espace savamment utilisé. L'arrière-plan est une mosaïque de simples feuilles qui représente chacune un détail d'une grande photographie prise d'un corridor d'hôpital, fragmentant ainsi l'espace dans lequel le corps est divisé et décortiqué: les maladies du sang en oncologie, les reins en néphrologie, le cerveau en neurologie, etc. jusqu`à ne devenir qu'organes ambulants, éparpillés dans les nombreuses cliniques.

Deux costumes: celui de Louis Cyr pour l'audition, et la fameuse jaquette d'hôpital, celle qui nous rend si anonyme et vulnérable. Mais j'oublie l'essentiel: le corps de l'acteur. Car avant tout accessoire le recouvrant, n'est-ce pas celui qui prend tout l'espace, toute la pièce pour nous évoquer - de façon sensible, touchante - ce qu'il ressent? Car ce n'est plus la tête qui parle, c'est bien le corps qui pose un arrêt. Temps, émotions, sentiments, tout se fige pendant que ce dernier prend le contrôle ou, en fait, le perd. C'est la maladie qui prend place; lourde, aliénante, catatonique. Et on devient, par la force des choses, patient. "Vous êtes en état de patient, alors patientez...".


Intéressant choix d'écriture que de comparer le personnage de Louis Cyr, homme fort et invulnérable, au personnage du comédien, atteint et souffrant. Présence appréciée des deux acolytes de façon égale: Lavoie, émouvant et juste, Schmutz accompagnant, ses petites apparitions subtiles, mais efficaces ajoutant à l'ensemble un élément important: l'Autre. L'Autre dans la vie du malade, la présence dont on ne voit pas toujours l'utilité en tant que patient, mais qui représente une part non négligeable, un équilibre en quelque sorte.


Un beau moment, une incursion dans un univers sensible et immensément fragile que Michel Lavoie et Julien Schmutz nous offrent généreusement, par le biais d'une écriture intelligente, un jeu ouvert, sensible et tout en nuances, une mise en scène forte et une scénographie dépouillée et minimaliste, laissant ainsi la place au propos qui, à lui seul, nécessite tout l'espace.

Pour tous publics confondus, étant touchés de près ou de loin par le sujet. À voir pour découvrir une excellente création et un lieu charmant qu'est le Théâtre Aux Écuries.